La jurisprudence du juge administratif en matière de pollution atmosphérique n’a cessé de se développer ces dernières années.
En effet, au fil des décisions rendues en la matière, on peut constater le rôle actif du juge administratif dans l’effectivité du droit de l’environnement notamment sur le plan de la responsabilité pour faute de l’administration.
Ce rôle passe la reconnaissance d’un élément essentiel : le lien de causalité entre la faute de l’administration et les préjudices allégués par les requérants qui a souvent fait défaut.
Pour rappel, il existe plusieurs types de régimes de responsabilité administrative :
- Responsabilité pour faute (simple ou lourde),
- Responsabilité sans faute (pour risque, pour rupture d’égalité devant les charges publiques.
La responsabilité pour faute nécessite la démonstration cumulative de trois éléments :
- Une faute,
- Un préjudice,
- Un lien de causalité entre la faute et le préjudice allégué.
Quelques décisions notables peuvent être relevées en matière d’engagement de responsabilité de l’État pour carence fautive en matière environnementale.
Ainsi, à titre non exhaustif :
- Tribunal Administratif de Paris 3 février 2021 Association notre affaire à tous et a., req. n° 1904967-1904968-1904972-1904976 (reconnaissance d’un préjudice écologique résultant du changement climatique)
- Tribunal administratif de Paris, 16 juin 2023, n°2019924 (le juge administratif reconnait l’existence d’un préjudice écologique et juge l’Etat responsable faute d’avoir respecté ses propres objectifs en matière de pesticides» (voir sur papers)
- Tribunal administratif de Paris n° 2200534/4-1 du 29 juin 2023 (le juge administratif reconnaît l’existence d’un préjudice écologique résultant de la contamination généralisée, diffuse, chronique et durable des eaux et des sols par les substances actives de produits phytopharmaceutiques, du déclin de la biodiversité et de la biomasse et de l’atteinte aux bénéfices tirés par l’homme de l’environnement).
En matière de la lutte contre la pollution atmosphérique, le juge administratif avait adopté une position plutôt mitigée s’agissant de l’effectivité du droit à vivre dans un environnement sain: si la carence fautive de l’État avait été reconnue, en revanche, l’existence d’un lien de causalité entre cette faute et les préjudices allégués ne l’avait pas été.
En effet, à titre d’exemple, par un jugement n° 1709919 du 9 janvier 2020, le Tribunal administratif de Lille avait reconnu la carence fautive de l’État en matière de pollution atmosphérique.
Néanmoins, il n’avait pas jugé l’existence d’un lien de causalité entre cette faute et les préjudices allégués par la requérante, à savoir une aggravation de sa sinusite chronique, comme suffisamment prouvée.
Voir également, sur l’insuffisance du lien de causalité : CAA de Paris, 21 décembre 2022,n°19PA02869.
Mais très récemment, une nouvelle étape vient d’être franchie puisque le juge administratif vient, pour la première fois, de condamner l’État à réparer les préjudices qu’il a causé tenant sa responsabilité pour carence fautive en matière de pollution : cette fois, le lien de causalité a été jugé comme suffisamment établi.
Ces deux affaires concernent deux enfants ayant vécu à Paris de leur naissance jusqu’en 2018 qui avaient souffert de bronchiolites et d’otites à répétition que les parents estimaient directement causées par la pollution de l’air en Ile-de-France.
Ces derniers avaient tout d’abord introduit une demande indemnitaire préalable tendant à la réparation des préjudices subis par leur enfant (mais aussi par eux-mêmes comme par exemple la nécessité de déménager dans le sud de la France pour l’une des familles).
Ils avaient ensuite saisi le tribunal administratif de Paris.
Le tribunal administratif avait rendu un jugement avant-dire droit le 7 février 2022 aux termes duquel il avait estimé que l’État avait commis une faute engageant sa responsabilité en n’adoptant pas de mesures permettant de réduire la pollution atmosphérique.
Il avait également ordonné une expertise pour mesurer l’impact de cette pollution sur l’état de santé des victimes.
Puis, notamment sur la base du rapport d’expertise rendu, par deux jugements n° 2019925/4-2 et 2019924 en date du 16 juin 2023, le juge administratif a considéré qu’«une partie des symptômes» subis par les enfants est «causée par le dépassement des seuils de pollution résultant de la faute de l’État ».
Ces décisions semblent marquer un tournant historique s’agissant de la reconnaissance du lien de causalité, élément, rappelons -le, indispensable pour engager la responsabilité de l’État pour faute et donc pour l’indemnisation des familles, des justiciables.
En reconnaissant ce lien de causalité, le juge administratif a condamné l’État à indemniser les familles à hauteur de 3000 et 2000 euros tenant les préjudices subis (une partie des postes de préjudices ayant été rejetée par le juge administratif) :.
4. Il appartient à la juridiction saisie d’un litige individuel portant sur les conséquences pour la personne concernée d’une exposition à des pics de pollution résultant de la faute de l’Etat, de rechercher, au vu du dernier état des connaissances scientifiques en débat devant elle, s’il n’y a aucune probabilité qu’un tel lien existe. Dans l’hypothèse inverse, elle doit procéder à l’examen des circonstances de l’espèce et ne retenir l’existence d’un lien de causalité entre l’exposition aux pics de pollution subie par l’intéressée et les symptômes qu’elle a ressentis que si ceux-ci sont apparus dans un délai normal pour ce type d’affection, et, par ailleurs, s’il ne ressort pas du dossier que ces symptômes peuvent être regardés comme résultant d’une autre cause que l’exposition aux pics de pollution.
5. D’une part, il résulte de l’instruction, et notamment du rapport d’expertise déposé le 12 janvier 2023, que les études scientifiques établissent de façon épidémiologique et statistiquement significative un lien entre asthme du nourrisson et pollution, notamment en ce qui concerne les pollutions au dioxyde d’azote (NO2, marqueur de pollution automobile), aux particules d’un diamètre inférieur à 2,5 microns (PM 2,5) et à l’ozone. La pollution n’est toutefois pas la seule explication aux bronchiolites de l’enfant, le virus respiratoire syncitial (VRS) ayant été identifié comme responsable de 60 à 80 % des épisodes de bronchiolite. Les pics de pollution favorisent la survenue de ces infections virales, avec des délais de quelques jours à plusieurs semaines entre pic de pollution et symptômes respiratoires, déclenchant un asthme du nourrisson viro-induit, chaque pic de pollution pouvant déclencher des manifestations sifflantes qui ne sont pas nécessairement de nature infectieuse. D’autres facteurs peuvent contribuer à la survenue de ces épisodes, tels que les allergies, le tabagisme parental, l’exposition à des produits chimiques domestiques, ou encore les conditions météorologiques. Toutefois, les études statistiques évaluent la part attribuable à la pollution dans les bronchiolites sévères de 30 à 50 %.
6. D’autre part, il résulte de l’instruction que Nina Librizzi, née le 24 mai 2015, a été hospitalisée du 7 au 10 octobre 2015 pour bronchiolite, et a ensuite souffert d’épisodes de bronchiolite à répétition, avec plusieurs consultations des urgences hospitalières, conduisant à un diagnostic d’asthme du nourrisson le 25 août 2016, et à la mise en place d’un traitement inhalé par nébulisation, ainsi que d’un plan d’action personnalisé pour la crèche. A plusieurs reprises, les symptômes manifestés par Nina Librizzi ont coïncidé avec des épisodes de pollution à dépassement de seuil. Ainsi, Nina Librizzi a consulté pour bronchiolite les 13 mai, 15 août et 7 décembre 2016, ainsi que les 19 et 26 janvier et 11 février 2017, dates auxquelles des dépassements de seuils de pollution ont été enregistrés. Si Nina Librizzi a fréquenté la crèche, ses parents sont non-fumeurs, leur logement ne comportait pas, selon eux, d’élément favorisant asthme ou allergies, et les tests allergologiques pratiqués sur Nina Librizzi en 2016 et 2017 se sont révélés négatifs. En outre, la famille a résidé, jusqu’à son déménagement à Agde en août 2017, à Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis), à 700 mètres du boulevard périphérique, et une amélioration nette de l’état de santé de Nina Librizzi a été observée postérieurement à ce déménagement, puisqu’aucun épisode de gêne respiratoire sifflante n’a été ensuite enregistré, et que le traitement de fond a pu être abandonné, à l’exception d’un épisode, en mars 2022, en raison d’une virose, qui a nécessité une reprise transitoire de la ventoline. Il résulte, ainsi, de l’instruction qu’une partie des symptômes dont a souffert Nina Librizzi a été causée par le dépassement des seuils de pollution résultant de la faute de l’Etat. Par suite, M. Librizzi et Mme Faure, épouse Librizzi, sont fondés à demander à l’Etat la réparation des préjudices subis du fait de ces pathologies.
Ces décisions semblent confirmer le rôle actif du juge administratif en matière de lutte contre la pollution atmosphérique et de l’effectivité du droit à vivre dans un environnement sain.
Reste sans doute à être encore plus audacieux s’agissant du montant des réparations allouées…
Maître Flora LABOURIER
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